LE DEVOIR Montréal, Québec Monday, 19 février 1990 DES IDÉES, DES ÉVÈNEMENTS Un Anglo écrit aux Québecois Lettre ouverte aux francophones du Québec (traduction LE DEVOIR) Mes amis, il y a 20 ans que vous nous menacez d’un divorce. Je parlerai cru, comme on le fait avec des proches. Fini le temps des jeux politiques. Il est temps de se parler sans détour, avec franchise et honnêteté. Toute maison divisée est menacée de périr. Je crois que vous-devez signer maintenant notre constitution et vous joindre à la famille canadienne. Je vous prie de garder l’esprit alerte, je vais vous expliquer pourquoi. Nous n’accepterons pas une constitution qui réserve un traitement à part à une province. Le message est clair; nous choisirons plutôt de dissoudre l’union. Nous savons que votre province a est distincte par la langue, par la culture et par son appareil de lois. Personne ne le niera. Mais avez vous vu les danses et écouté la musique de Terre-Neuve, du Cap-Breton, de l’Acadie, de l'Île-du-Prince-Édouard et des Prairies? Pensez-y bien : pouvez-vous vous attendre à ce que les Canadiens de ces régions acceptent que vous soyez plus distincts qu’eux? Non, mes amis, cela va à l’encontre de la nature humaine. Mes amis, nous comprenons très bien votre point de vue; vous êtes une petite île de Français dans un océan d’Anglais. De fait, qui peut mieux que nous comprendre vos sentiments, puisque nous vivons à côté d’un océan d’Américains? Nous ne pouvons pas cependant être tenus responsables de votre situation qui est un accident historique. Nous connaissons vos craintes face à l'isolement et à l’assimilation, nous en éprouvons de semblables. Nous avons été menacés depuis toujours de l’extérieur et c’est maintenant de l’intérieur que nous sommes menacés. Mes amis, en votre âme et conscience, n’êtes-vous pas conscients que lorsque vous avez dit Oui au Canada, nous avons aussi dit Oui à votre égard? Je peux me rappeler le soulagement poignant, l’émotion profonde, l’épanchement d’amour sans précédent, lors de ce jour fatidique. C’était là le point tournant de l’histoire du Canada. Nous avions enterré notre passé et pour la première fois, nos deux peuples s’unissaient par choix, non cause des circonstances. L’occasion créée par ce rapprochement sans précédent est en train de vite s’estomper. Vous êtes revenus sur la parole donnée et nous éprouvons de la frustration, de la confusion, nous sommes très contrariés. Quand vous n’avez pas signé la constitution de 1982, nous avons compris, car René Lévesque était un grand homme aux convictions solides. Nous ne pouvions nous attendre à ce qu’un homme ayant ces idéaux — référendum ou pas — aille à l’encontre de ses propres convictions. Toutefois, huit ans plus tard, nous sentons que l’on tient notre avenir en otage. Mes amis, nous avons tellement essayé de vous rejoindre à mi-chemin. Nous acceptons que vous ayez un contrôle du caractère de la Chambre des Communes. Nous traduisons nos lois dans votre langue, imprimons nos documents gouvernementaux dans votre langue qui se retrouve aussi sur nos affiches et nos boîtes de céréales. Nous enseignons votre langue à nos enfants dans nos écoles, et affirmons à nos fonctionnaires qu’ils ne peuvent accéder à des promotions sans connaître votre langue. Vous rendez-vous compte de la difficulté qui nous a ainsi été créée? Mes amis, nous ne comprenons pas pourquoi vous persistez à nous rejeter. Nous avions cru notre mariage réjuvéné et nous avions fait tout notre possible pour tenir la part de notre engagement. Tout ce que nous avons demandé 'en retour, c’est que vous cessiez de mettre en péril la survivance même de notre pays. Vous voulez maintenant négocier de nouveau, sous la menace de sécession; nous nous sentons trahis. Mes amis, cela vous ferait du bien de vous mettre pour une journée dans les souliers d’un Canadien de la côte atlantique. De tous les Canadiens, nous sommes ceux qui ont le moins tiré profit de l’Union. Nous sommes pauvres, nous sommes petits. Nos routes sont, mauvaises, nos chemins de fer supprimés, notre industrie des pêcheries ferme, nous avons à payer cher notre essence, notre électricité et nos aliments, et apercevons peu de chance d’amélioration à l’avenir. Il est difficile que nous sympathisions avec vous. Notre pays fait face à de nombreux problèmes sérieux : destruction de l’environnement, injustice perpétrée envers les Premières nations, injustices dans nos institutions fédérales. Sans nos deux peuples, Français et Anglais, le Canada ne serait pas le grand pays qu”il est aujourd’hui. Nous avons bâti ce pays ensemble, poursuivons le processus. Mes amis, 20 ans est une période passablement longue. Nous avons maintenant élevé une génération de Canadiens qui vivent dans la crainte que leur pays fragile puisse à tout moment se rompre. Nous sommes las, tellement las de nous battre pour vous convaincre que l’on vous veut. Une maison divisée est menacée de périr, et les failles dans les fondations s’élargissent devant nos yeux. La décision est entièrement entre vos mains. S’il vous plaît, signez notre constitution maintenant, en tant que membre égal, et revenez dans la famille tandis qu’il est encore temps de réparer les dégâts. WILLIAM MOTT STEWART Computer Science University of New Brunswick Fredericton, le 8 février. -----